mardi 8 février 2011

Maryse Condé


Maryse Condé a reçu en 2010 le Grand prix du roman métis, nouveau venu sur la longue liste des prix littéraires francophones. Fondateur du prix et président d'un jury où l'on retrouve entre autres Tahar Ben Jelloun et Patrick Poivre d'Arvor, Mohammed Aïssaoui a voulu créer un prix «qui met en lumière les valeurs de diversité, d'échanges et d'humanisme, symboles de l'île de La Réunion.» Début novembre, Didier Jacob avait rencontré cet auteur de 76 ans, qui se plaignait de ne pas être lue alors que sortait «En attendant la montée des eaux», son vingtième livre.

Fu-rieuse. La grande figure des lettres guadeloupéennes, regard de velours et verbe charmeur, contient mal son amertume, dans l'appartement du Marais où elle vit six mois par an :

« Pourquoi suis-je à ce point ignorée dans mon propre pays? J'écris pourtant depuis 1976. Un jour, j'ai rencontré une trentaine de libraires. Aucun ne connaissait mon travail. C'est incroyable.»

Son parcours est en effet passionnant à plus d'un titre. 1934. Maryse Condé naît à Pointe-à-Pitre, dernière d'une famille de 10 enfants. Brillants sujets : l'un de ses frères, Auguste, est le premier agrégé de lettres guadeloupéen (promotion Césaire). Maryse s'installe en France à 16 ans. Studieuse, obéissante, rangée, elle découvre alors les écrits du grand manitou de la négritude, et ressent une émotion si forte que sa vie en sera changée pour toujours :

«C'est avec Césaire que j'ai découvert qu'on m'avait menti. Qu'on avait oublié, dans mon éducation, quelque chose d'énorme : l'Afrique.»

L'esclavage, sa vie, son oeuvre. Tandis qu'elle dévore ce noir chapitre de l'histoire humaine, Maryse Condé s'accommode de moins en moins des discours officiels. On la renvoie du lycée Fénelon pour insubordination et impertinence. Elle poursuit alors ses études à la fac, et rencontre un acteur guinéen qui lui fait découvrir le continent africain. Elle y passera douze ans. Mais son mariage, motivé, dit-elle, par d'autres raisons que l'amour, prend l'eau. Surtout, l'Afrique n'est pas cet éden qu'elle croyait, le jardin de roses de la négritude :

«Quand je suis arrivée en Guinée, je pensais que tous les Noirs étaient frères. Et voici que je découvrais la dictature, la vraie réalité du pouvoir africain. Je voyais Sékou Touré, magnifique, défiler dans une voiture décapotée sous les applaudissements du peuple et j'apprenais le lendemain l'existence du camp Boiro, les gens exécutés, à commencer par le mari de ma soeur qui était ambassadeur. Tout cela me préoccupait, m'habitait.»

Maryse Condé revient en France, travaille dans les bureaux de « Présence africaine », le fief de Césaire :

«Il venait tous les samedis. Il était sauvage et timide. Pas causant. Je n'aurais pas osé lui parler de mon oeuvre ni de la sienne. J'aurais eu un peu honte. Quoi lui dire? Je vous admire? C'est bête. On ne parlait de rien.»

Maryse Condé, en tout cas, se fait connaître avec des livres comme « Ségou » ou «Desirada». Succès populaires, d'estime aussi. Mais la reconnaissance officielle tarde à venir. «Après «Ségou», je suis restée trois ans au chômage. Jusqu'à ce qu'une université américaine me propose un poste. » Les Etats-Unis, au temps de la première guerre du Golfe et de l'encore populaire George Bush, ne font rêver ni Maryse Condé ni son mari. Mais ils partent s'y installer, et découvrent un pays plus accueillant qu'ils ne l'auraient cru. La romancière enseignera plus de dix ans à Columbia University, à New York. Elle y passe encore les hivers, préférant les ciels bleus, éclatants et froids de Manhattan à la grisaille parisienne. Et puis, aux Etats-Unis, elle est au moins reconnue.
«En attendant la montée des eaux», son dernier livre, savamment orchestré, ponctué d'expressions qu'elle a su, entre Guadeloupe, Guinée, France et Etats-Unis, tisser dans un entrelacs linguistique imagé et personnel, cette fresque polyphonique se nourrit des thèmes qui la hantent : misère du tiers-monde (le roman se déroule en partie en Haïti, et Maryse Condé confie que c'est en découvrant la haine des Guadeloupéens pour les nombreux immigrés haïtiens dans l'île qu'elle a eu envie d'écrire le livre), indigence des pouvoirs politiques en Afrique, influence néfaste des nations colonisatrices. On voit que la romancière antillaise, pour ne plus militer comme autrefois aux côtés des indépendantistes, n'a pas enterré la hache de guerre.

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