mercredi 9 février 2011

Les années 30 :le célèbre cotton club



Les années 30 commencent mal en Amérique : le krach de Wall Street de 1929 est l'amorce d'une crise économique sans pareille qui durera jusqu'en 1934. Elle n'est évidemment pas sans conséquence sur les musiciens, en particulier s'ils sont noirs : beaucoup d'entre eux sont forcés de quitter la profession tandis que les orchestres licencient leurs employés et que les maisons de disques font faillite (la consommation de disques aux Etats Unis chute de 100 millions en 1927 à seulement 6 millions en 1932 et les phonographes de 1 million à 40 milles). Pourtant, au début de la crise tout au moins, la récession n'est peut-être pas aussi pénible pour certains musiciens que pour le reste de la population. Ainsi, même si Duke Ellington fait référence à la crise en enregistrant Wall Street Wail le 10 décembre 1929, son orchestre continue ses activités et le Cotton Club à New York ne ferme pas. Ceux qui le peuvent tentent d'oublier leurs soucis ou des les repousser à plus tard en se ruant dans les clubs. Là, ils veulent du spectacle, de la danse, de l'exotisme, une musique gaie, éclatante, qui va chasser pour un soir leur angoisse. A la même époque, Kansas City, ville industrielle frontière entre les Etats du Missouri et du Kansas, échappe sensiblement à la crise qui sévit dans le Nord et attire les musiciens sans travail : c'est dans les bars appelés Sunset ou Cherry Blossom que vont s'élaborer les riffs qui donneront naissance au style Kansas City.

En réponse à cette demande populaire, le jazz se transforme : le blues exprimant la douleur d'un peuple recule au profit d'un répertoire composé essentiellement de chansons (les songs) dont beaucoup deviendront des standards encore joués à l'époque moderne tandis que la prépondérance va aux grands orchestres. Pourtant, l'improvisation qui est au cœur du jazz ne disparaît pas : elle se développe même, portée par ce nouveau support organisé qu'est une grande formation. Grâce à ces talentueux solistes que furent Coleman Hawkins, Johnny Hodges ou Lester Young, l'esprit du jazz est sauf tandis que le recours aux arrangements orchestraux enrichit considérablement la palette sonore. Des arrangeurs comme Fletcher Henderson, Don Redman, Sy Oliver ou Benny Carter, deviennent d'ailleurs rapidement des personnages aussi indispensables que les solistes et c'est Don Redman lui-même qui, dès 1931, va définir la structure des 4 sections d'un big band moderne : 4 saxophones (un cinquième viendra s'y adjoindre en 1933 chez Benny Carter), 3 trompettes, 3 trombones et une section rythmique constituée d'un piano, d'une guitare, d'une contrebasse et d'une batterie.

Franklin Delano Roosevelt, élu Président des Etats-Unis en 1932, met en œuvre le New Deal, un plan économique pour combattre la crise. C'est aussi cette année-là qu'en tirant la leçon des grands orchestres noirs en vogue, le clarinettiste et chef d'orchestre blanc Benny Goodman décide de constituer une grande formation. Grâce à ses émissions de radio sur NBC, il cristallise sur son nom la vogue du Swing : cette musique au tempo enlevé et à la pulsation régulière à ne pas confondre avec le swing (cet espèce de balancement qui donne au jazz sa tension). Aidé par Fletcher Henderson, recruté comme arrangeur, et par son beau-frère, le critique John Hammond, Goodman apporte au jazz une reconnaissance et une popularité qu'il n'a jamais connues auparavant. Certes, sa musique rappelle celle d'Henderson : elle est seulement un peu plus raffinée, plus disciplinée. Goodman lui-même est un virtuose de la clarinette, capable de jouer aussi bien le jazz que le classique (il inventera d'ailleurs une sorte de jazz de salon avec ses petits combos), et il a su s'entourer des meilleurs musiciens blancs de l'époque : les trompettistes Bunny Berigan et Harry James, le pianiste Jess Stacy et, surtout, le spectaculaire et brillant batteur Gene Krupa qui n'est pas pour rien dans le succès de l'orchestre. Les préjugés raciaux font le reste : l'ère du swing démarre vers 1935 et Benny Goodman en sera sacré Roi au Carnegie Hall de New York en 1938.

Pourtant, Benny Goodman n'hésite pas à affirmer sa solidarité avec le jazz traditionnel. Il dirige, en même temps que son big band, une série de petites formations (du trio au sextette) au style original et au sein desquelles il partage la vedette avec des musiciens noirs comme Teddy Wilson, Lionel Hampton, Cootie Williams, Count Basie ou, plus tard, Charlie Christian. C'est aussi en compagnie de Benny Goodman et grâce à John Hammond, que Billie Holiday enregistra son premier disque en 1933. Et c'est bien un vrai groupe de jazz mixte qui pénètrera triomphalement au Carnegie Hall en janvier 38.


La passion du public pour le Swing (que certains croient différent du jazz) entraîne alors l'apparition de centaines de grands orchestres pour la plupart blancs. On les entend dans toutes les émissions de radio et, vu le coût des orchestres en cette période de crise, pas un hôtel ne s'en prive. Certains d'entre eux parviennent très bien à imiter les arrangements, la densité sonore, ou les effets de contraste du big band de Goodman et l'histoire n'a retenu que les noms des meilleurs : ceux du tromboniste Tommy Dorsey, du clarinettiste Artie Shaw (qui est aussi célèbre pour ses huit mariages notamment avec Lana Turner et Ava Gardner), et du fameux tromboniste Glenn Miller qui disparut en survolant la Manche en 1944. Bien entendu , il faut encore compter en cette seconde moitié de la décennie avec l'orchestre du chanteur Cab Calloway, qui remplaça Ellington au Cotton Club en 1932, celui du légendaire batteur Chick Webb qui rencontra à l'hiver 1934 une orpheline de Harlem nommée Ella Fitzgerald, et surtout le big band de Jimmy Lunceford, le seul en 1938 à tenir tête à l'orchestre d'Ellington.

Impossible de parler de ces années 30 sans mentionner le style propre à Kansas City dont le quartier réservé, protégé par les hommes politiques (dont le fameux maire Tom Pendergast), accueillit les musiciens et fit prospérer le jazz. Basé sur le blues et le boogie woogie, les orchestres de Kansas City élaborent des thèmes simples mais efficaces et utilisent souvent des phrases musicales courtes de 2 ou 4 mesures appelées riffs qui, répétées en contrepoint, font naître le swing et apportent une dynamique nouvelle à l'orchestre, une sorte d'élasticité naturelle inconnue jusque là. La formation de Bennie Moten, les Twelve Clouds Of Joy d'Andy Kirk, les Rockets d'Harlan Leonard, et les orchestres de Count Basie et de Jay Mc Shann en sont les illustres représentants.

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