dimanche 13 mars 2011

l'ére Miles Davis



Destin peu commun que celui de Miles Davis, trompettiste dans le combo de Charlie Parker à 19 ans, il devait ensuite exceller dans tous les styles de jazz. Quand il ne les a pas créés !

Même issus de milieux relativement aisés, même établis depuis plusieurs générations dans le Nord, les noirs ont toujours été en proie au racisme. Cette intolérance a fait naître chez nombre d’entre eux un sentiment profond de révolte, ainsi que le désir ardent de glorifier les traditions de leur communauté. Pour exister, culturellement et socialement, pour prouver à l’Amérique que les gens de couleur n’étaient pas destinés à constituer éternellement une main d’œuvre bon marché, pour les propriétaires terriens du Sud comme les directeurs d’usine du Nord. Certains ont choisi le sport, à commencer par la boxe, d’autres la musique, et plus particulièrement le jazz.
Miles Davis n’a pas échappé à cette règle. Bien que ses parents eussent, un temps, nourri l’espoir qu’il devint musicien classique – après tout, ne fut-il pas inscrit à la prestigieuse Académie Juilliard, à New York, qui préparait ses étudiants à cette discipline ?

Milles devait consacrer toute sa vie au jazz, à ce jazz qui était pour lui le seul moyen sinon de vaincre sa solitude, tout au moins d’exorciser sa tristesse. Là encore, les choses n’ont pas été faciles. Certes, le trompettiste a souvent été à l’origine des révolutions esthétiques qu’a connues le jazz après la guerre, et il s’est imposé comme l’une des très rares stars de la musique afro-américaine. Mais son succès, il l’a d’abord dû aux Blancs qui achetaient ses disques et, dans une moindre mesure, à des arrangeurs et instrumentistes de génie, eux-mêmes de race blanche. Ce devait être, pendant de longues années, un paradoxe très difficile à assumer, pour le musicien qui a dit un jour : « je ne joue pas pour les Blancs. Je veux entendre un Noir dire : ‘j’aime Miles Davis’ ! ».

Né à Alton (Illinois) le 25 mai 1926, puis élevé à East Saint Louis (Missouri) où son père exerce la profession de dentiste, Miles Ddawey Davis prend très jeune des leçons de musique, à l’image de bien des enfants noirs des classes moyennes. Dans son autobiographie, il écrit : « a 12 ans, la musique était devenue la chose la plus importante de ma vie (…). Ce n’est pourtant qu’en passant d’Attucks Junior High à Lincoln High Scool que j’ai fait de vrais progrès. Mon 1er grand professeur, Elwood Buchanan, était à Lincoln. J’y ai fait toute ma scolarité jusqu’au diplôme (…). Après mon père, c’est M. Buchanan qui a exercé la plus grande influence sur ma vie ». Et Miles de poursuivre : « pour mon 13ème anniversaire, mon père m’acheta une trompette neuve. Ma mère voulait un violon, mais il passa outre ».

Tandis qu’il affine sa technique dans la formation d’Eddie Randall, certainement au début des années 1940 la meilleure de Saint Louis, Miles Davis a, un jour de 1944, l’opportunité d’assister à un concert du grand orchestre de Billy Eckstine dans lequel jouent Charlie Parker et Dizzy Gillespie. C’est son 1er contact avec le bop qui, depuis quelque temps déjà, fait fureur dans les clubs new-yorkais. Frappé par la virtuosité expressionniste du saxophoniste alto et du trompettiste, Miles décide d’adhérer lui aussi au jazz nouveau. Bientôt établi à New York pour y suivre des cours à l’Académie Juilliard, il aura tout le loisir, le soir venu, de se rendre dans les clubs de la 52e Rue, la « Swing Street ».

Devenu l’un des disciples Parker et Gillespie, Miles Davis entre dans le quintette du saxophoniste alto en 1945, lequel comprend également Duke Jordan au piano, Tommy Potter à la contrebasse et Max Roach à la batterie.

Cette expérience, qui durera 4 ans, permettra au jeune trompettiste de réaliser d’incontestables progrès, même si son jeu est à cette époque, et le plus logiquement du monde, marqué par celui de Dizzy Gillespie – « Billie’s Bounce » et « Now’s The Time » l’attestent. En même temps, il prendra conscience qu’il n’est, en réalité, pas fait pour jouer le bop, que son caractère ne correspond en aucune façon à l’exubérance et, pour tout dire, à la violence de ce jazz. Un contrat au Royal Roost de New York en 1949 va faciliter sa rupture avec Parker. En vue des prestations dans le club de Broadway, et sur les judicieux conseils de Gil Evans et de Gerry Mulligan, Miles Davis met sur pied un groupe. Celui-ci comprend au départ John Lewis (piano), Max Roach (batterie), Lee Konitz (saxo ténor), Mike Zwerin (trombone), Gerry Mulligan (saxo baryton), Al McKibbon (basse), Junior Collins (cor), Bill BBarber (tuba) et Kenny Hagood (chant).
Sitôt après la parution de « The Birth Of The Cool », le trompettiste se lance dans d’autres expériences musicales.

Enregistré en 1954 avec le pianiste Horace Silver, le tromboniste JJ. Johnson et le saxo ténor Lucky Thompson, « Walkin’ » est encore un chef d’œuvre. Cette fois, les sonorités impressionnistes ont laissé la place à une vigueur exacerbée dans l’interprétation, à telle enseigne que l’on voit dans ce titre les prémices du funk.

Les enregistrements avec son groupe puis avec son quintette, ceux entrepris avec Gil Evans à partir de la fin des années 1950 ont placé Miles Davis au zénith. En 1957, il a même enregistré, alors qu’il se trouvait en France, la musique « d’Ascenseur pour l’échafaud » de Louis Malle. Quant à l’album « King Of Blue », qui date de 1959, avec notamment le pianiste Bill Evans, il a fait de lui un musicien d’avant garde, au même titre, par exemple, que Charles Mingus.

Miles Davis enregistrera encore des œuvres superbes tout au long des années 1970 et 1980 « Calypso Frelimo », « The Man With a Horn », « It’s Gets Better », « That’s Right », « Time After Time « et « Tutu ». Néanmoins, victime d’un très grave accident de voiture en 1972, il aura tendance à moins se produire sur scène et à consacrer une part importante de son temps à la peinture qui, selon les propres mots du jazzman, l’ »a beaucoup aidé ». C’est le 28 septembre 1991, 2 mois après avoir été décoré de la Légion d’honneur par les autorités françaises, que le monde apprend ma disparition de la plus grande star du jazz, le « virtuose de la non-virtuosité

Miles Davis ne s’affirme pas comme un grand virtuose, avant lui, Louis Armstrong et Dizzy Gillespie ont véritablement émancipé le jeu de la trompette. En revanche, il a été le seul non seulement à transcender ou à créer autant de styles de jazz, mais encore à dominer aussi longtemps le monde de la musique afro-américaine. Plus extraordinaire encore : tout en s’attirant la sympathie et le respect du public blanc, il a été l’un des plus ardents défenseurs de la cause noire. Ce n’est pas là, d’ailleurs, le moindre des paradoxes du créateur du cool jazz que sa musique, expression de sa tristesse et de sa solitude, ait contribué à rendre moins tristes et solitaires ceux-là même qui l’écoutaient.

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